Voici un extrait du mémoire d'Hugo Forveille, un surfeur de 25 ans, architecte à Bordeaux, qui a écrit un mémoire dans le cadre de ses études l'an dernier. Il nous partage un extrait de son mémoire fort intéressant dans lequel il mentionne le projet de surf park de St Père en Retz.

Mémoire de fin d’étude « La surf culture et les piscines à
vagues »
- Hugo FORVEILLE
Ecole Nationale d’Architecture de Bordeaux
Ce qui est intéressant, c’est le rapport que le surf créé entre l’espace physique et l’espace
temps et le surfeur. C’est ce rapport qui est le fondement de la culture du surf.
Si l’on reprend l’histoire du surf, on se rend compte qu’elle est intimement liée au rapport
avec les éléments naturels.
En France, l’histoire du surf commence à la grande plage de Biarritz dans les années
1950 et se nourrit d’une culture forte importée de la Californie. A cette époque le surf est
une contre-culture.
Cette contre-culture se définie par le rejet du mode de vie basé sur la réussite prônée par
la société. Les surfeurs veulent vivre au rythme de l’océan. Ils prônent un mode de vie
libre et nomade qui pousse au voyage, à la découverte de nouveaux territoires et de
nouvelles vagues. Ils vivent à contre courant de la société. Ce mode de vie surf inspire la
musique, les films et les arts graphiques.


Le surf n’existe pas ou en tout cas ne se représente pas sans le mouvement contre-
culturel qui a accompagné son développement.
En reliant cet aspect de la pratique du surf avec l’actualité, j’ai pu soulever un début de
problématique.
En effet, le marché des vagues artificielles est aujourd’hui en plein développement.
Les avancées technologiques ont permis de recréer des vagues d’une très grande qualité
dans des « piscines à vagues ».
On pourra donc désormais surfer un peu partout dans le monde, même là ou il n’y a pas la
mer ou pas de spots de surf naturels.
De plus, le surf est devenu une discipline Olympique. Les JO 2024 se dérouleront à Paris
et il y a de fortes chances pour que les épreuves de surf se déroulent dans une de ces
piscines à vague. La bataille des villes qui en accueilleront les épreuves a commencé. Qui
de Biarritz, Hossegor, Lacanau ou encore Sevran en Seine-Saint-Denis obtiendra le droit
d’organiser la compétition ?
Si une ville comme Sevran se positionne dans la course, c’est parce qu’il est fortement
recommandé par la Fédération Française de Surf (FFS) d’avoir un bassin à vaguesartificielles pour obtenir le droit à l’organisation. C’est justement le projet que la ville
souhaite mener dans le cadre de la création de la ZAC « Sevran Terre d’avenir » qui
s’inscrit dans le concours « Inventons la Métropole du Grand Paris ».
Le lauréat de ce concours est l’architecte Jacques Rougerie avec son projet de parc
aquatique qui contient donc une piscine à vagues.
La promotion du surf aux JO et la préconisation pour la ville qui accueillera les épreuves
d’être dotée d’une piscine à vagues peut participer encore plus à l’évolution de la pratique
vers cette artificialisation.
Partant de ce constat, j’ai pu cadrer et problématiser mon mémoire sur le surf et sa
culture.
L’innovation technologique de la piscine à vagues est-elle un symbole d’un
éloignement de l’homme avec la pratique originelle du surf, de sa contre-culture et
du rapport qu’il entretient avec les éléments naturels ?
Références philosophiques
A partir de cette problématique, j’ai réussi à extrapoler et à aborder des questions
philosophiques sur justement ces rapports hommes/machine et homme/nature.
Notamment grâce a 2 auteurs : Catherine Larrère dans son livre « Penser et agir avec la
nature » et Ivan Illich avec son livre « La convivialité ».
Ces deux ouvrages m’ont accompagnés tout au long de la rédaction de mon mémoire.
Surtout, il m’ont permis de développé un regard critique sur ces questions, de prendre du
recul sur et d’ouvrir des portes concernant mon sujet.
Le surf, un rapport à la nature
De la pratique ancestrale du surf par les Polynésiens au 15 ème siècle, en passant par la
contre-culture Californienne et Française des années 60 et 70 jusqu‘aux piscines à vagues
de Kelly Slater et de Sevran, le surf a évolué dans sa pratique et dans sa représentation
culturelle.
Au départ, surfer est une pratique vernaculaire et religieuse qui lie l’homme à son
environnement naturel. Il lui permet de s’affirmer en tant qu’être humain et de régler des
problèmes ou des conflits au sein de la société. Si l’on se rattache à la pensée de la
philosophe Catherine Larrère, on peut parler ici d’un non dualisme entre l’homme et la
nature.
Dans son livre, la philosophe aborde le concept de « Wilderness » en tant que nature
sauvage et espace non entravé par l’homme. Elle critique cette vision de la nature qui se
traduit par les parcs nationaux Américains. En effet, la nature y est protégée pour sonstatut de nature vierge et « originelle » mais elle a en fait été façonnée par l’homme,
notamment par les populations Amérindiennes.
Le « Surf Ranch » de Kelly Slater est situé à un peu plus d’une heure de route des parcs
nationaux du Nevada en Californie. La piscine à vagues de Kelly est la reproduction d’un
phénomène naturel.
Sur un même territoire, on voit donc deux conceptions et deux illusions de la nature
s’opposer : d’un côté les parcs nationaux qui protègent une nature faussement vierge et
de l’autre une piscine à vague qui recréé artificiellement le fantasme d’une nature.
Autrement dit, d’une part on enlève l’homme de la nature pour protéger un « faux »
sauvage et de l’autre c’est l’homme fabrique du sauvage.
Le surf, une contre-culture et un rapport à l’espace
Dans les années 60, quand le surf se répand en Californie et en France, la pratique
s’associe à la contre culture rock et hippie de l’époque et devient une quête de liberté.
L’occupation de l’espace par les surfeurs-vagabonds est en contradiction avec le fait de
mettre sous cloche une zone de nature. Catherine Larrère développe le concept de
« Wildness », soit la part de sauvage en soi, qu’on peut associer aux surfeurs de cette
époque. Contrairement à la « Wilderness » emprisonnée dans des zones précises, les
surfeurs relient l’espace avec des points qui seraient les spots de surf. Leur occupation de
l’espace est douce et nomade, d’où la notion de liberté qui émane de la pratique.
L’outil de la piscine à vagues
Avec la piscine à vagues, on peut craindre le fait que la pratique du surf devienne
instrumentalisée, institutionnalisée et règlementée : surfer devient une pratique qui sert
avant tout un but marchand.
Cela rentre fortement en contradiction avec la liberté prônée et recherchée par les
surfeurs.
En ce sens, la machine de la vague artificielle est le contraire du concept d’objet convivial
décrit par le penseur Ivan Illich : elle s’inscrit dans la logique de nos sociétés non
conviviales. Elle prive l’homme de sa créativité, de sa liberté et devient un outil aliénant.
A travers l’entreprise Espagnole « Wavegerden », on voit bien l’aspect commercial de la
piscine à vagues. Les wavepool amènent une marchandisation de la vague, une
sédentarisation, une délocalisation de la pratique, via une artificialisation de la nature.
Surfer est un acte pur qu’on vient marchandiser et mécaniser par le biais d’une
technologie.
Le surf et sa culture sont un rapport au temps, à la nature, à l’espace. On peut se
demander si la machine du wavegarden et les parc de surf viennent déréguler ces
rapportsLes piscines à vagues sont également une manière d’exercer un contrôle social sur une
pratique qui se revendique comme libre. Les vans, le squat des parkings, plus
généralement l’occupation de l’espace par les surfeurs tend à être contrôlée et
règlementée : les parkings deviennent payants (on peut prendre l’exemple du parking
payant sur la plage de « La Centrale » à Lacanau), surveillés et interdit au campement.
Des choix programmatiques et urbains
La question de l’architecture et des choix urbains et programmatiques de ces espaces
d’artificialisation est primordiale.
En effet les complexes de bassins artificiels vont de pair avec des projets de zones
commerciales ou de logements...
La création de complexes de vagues artificielles associés à des zones commerciales de
restauration, d’hébergement et de magasins est-il le modèle à suivre dans l’organisation
des espaces périurbain (car ces complexes sont souvent bâtis en dehors des villes,
parfois dans des zones assez peu urbanisées) ?
Ces complexes ne vident-ils pas les centre-villes des communes péri-urbaines de ses
activités économiques ?
Et surtout ce modèle artificiel recréant de toute pièce une image fantasmée de la nature
est-il ce vers quoi on veut tendre en terme d’urbanisation et d’aménagement territorial, à
l’heure où la question de la gestion des ressources et des paysages naturels est
primordiale ?
En effet, il m’a été difficile de trouver des informations clairs quand à la source d’énergie
qui alimente les machines des piscines à vagues.
Si l’on reprend les futurs projets de piscines à vagues (Saint-Père, Castets..) on s’aperçoit
qu’ils sont tous construits sur des terrains « naturels » (champ agricole, pinède...). On
assiste donc à un grappillage de territoires encore empreint de nature pour y construire un
bâtiment reproduisant artificiellement une pratique qui se déroule elle en milieu naturel. Ce
n’est pas pour y créer du logement ou des infrastructures d’utilité publique mais bien pour
surfer sur terre, parfois à seulement quelques kilomètres de l’océan. On peut se demander
si ça n’est pas un non-sens.
Le projet « Terre d’eau » peut être représenté, en ce sens, comme le summum de
l’artificialisation programmé d’un territoire sur une échelle démesurée.
Le coût énergétique et l’impact environnemental d’un projet d’une telle ampleur, rien que
par la création d’une piscine à vagues prenant sa source dans une nappe phréatique pose
question. Très peu d’informations sont communiquées quand à la provenance de la source
d’énergie qui est nécessaire pour faire fonctionner la machine qui génère les vagues de
ces bassins.
Le projet est chapeauté par « Oasiis » une entreprise dite « experte en performance
environnementale ». Ici on peut se demander si le but n’est pas justement de rechercherla « performance » environnementale à grands coups de projets d’artefact faussement
naturels et recréant un pastiche d’environnement naturel. Quand on regarde le projet de
Sevran avec les 3 bassins artificielles, les iles de maraichage basé on peut se demandé la
pertinence de la refabrication d’un déjà là ? Le but recherché est bien la « performance »
et la productivité environnementale qui répond à certaines normes et non la cohabitation
raisonnée avec l’environnement naturel des lieux.
Le projet de Sevran est un peu comme un immense « Mall » Américain ou un centre
commercial : on réunit dans un même espace énorme plusieurs activités de commerce, de
loisirs et des lieux d’habitation. La plupart de ces projets s’implantent sur des zone
agricoles ou de maraichage. Surtout cela semble être le modèle de base actuel pour
fabriquer la ville. A l’heure où l’on parle de transition écologique, ce type de projet est-il la
réponse adaptée ? Est-ce un bon moyen de fabriquer la ville ?
Ouverture
L’architecture en général, et en prenant l’exemple de la ZAC de Sevran qui s’inscrit dans
le projet de la construction de la Métropole de Paris, s’inscrit-elle dans cette démarche
dualiste d’éloignement de l’homme avec la nature et d’artificialisation des espaces ? Dans
le contexte écologique et avec les préoccupations environnementales actuelles, ces types
de projets sont-ils des réponses appropriées ?
Les projets urbains d’extension des centre-villes, dessinés à des échelles conséquentes,
sont-ils une manière cohérente de faire la ville ?